samedi 12 octobre 2013

Le blues de l'automne



Il n'y a qu'à cette période qu'on sent un vague à l'âme diffus et nostalgique:

Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
De ça, de là,
Pareil à la feuille morte.

Verlaine

Comme la mélancolie se mêle à la chute de jolis ornements verts dont on ne se soucie plus quand il fait chaud, sauf pour se rafraîchir à l'ombre...Pourtant, ces feuilles qui créent un tapis mordoré, on les observe toujours, on les guette...

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Tu vois, je n'ai pas oublié,
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi,
Et le vent du Nord les emporte,
Dans la nuit froide de l'oubli.

Prévert, mis en musique par Joseph Kosma

Mais si le froid nous saisit, c'est là que l'on se rend compte très souvent de l'essentiel: quoi qu'il se passe, c'est cette chaleur qu'on ne sent pas, qui ne chauffe pas, qui ne brûle rien hormis dans l'invisible, l'impalpable, qui est pourtant essentielle, et qui semble aussi vitale que sont réelles les feuilles tombant au sol, dans un chamarré de cuivres...

jeudi 30 mai 2013

Quo Vadis

Ce roman, même s'il n'a plus pour moi l'émerveillement et l'admiration de mes 12 ans,ainsi que la dureté de certains passages m'avaient heurtée, est toujours aussi bien écrit, sans fausse notes, et le cynisme de Pétrone en fait un des meilleurs personnages de Roman.
Voici des extraits en rapport à son suicide, la fin d'une époque et d'une civilisation, selon Sienkiewicz, qui cède le pas à celle d'une nouvelle religion, même si le lyrisme l'emporte sur l'Histoire, les passages sont beaux:


Lettre de Pétrone à Vinicius, chapitre LXXIII:

« Et quand même j’aurais le désir de te suivre là où tu veux me conduire, cela m’est impossible. Non pas que je ne le veuille pas : je te le répète, je ne le puis pas. Tu crois, comme Paul de Tarse, qu’un jour, par-delà le Styx, dans de vagues Champs Élyséens, vous verrez votre Christ. Fort bien ! Qu’il te dise lui-même, ton Christ, s’il m’eût reçu, moi, avec mes gemmes, mon vase de Myrrhène, mes éditions des Sosius, et ma belle aux cheveux d’or. Cette seule pensée, mon cher, me donne envie de rire. Votre Paul de Tarse m’a expliqué que, pour le Christ, on devait renoncer même aux couronnes de roses, aux festins et à la volupté. Il me promettait, il est vrai, un autre bonheur en échange, mais je lui ai répondu que pour cet autre bonheur j’étais trop vieux, que mes yeux se délecteraient toujours à la vue des roses, et que l’odeur des violettes me serait toujours infiniment plus agréable que celle de mon malpropre « prochain » de Suburre.
« Voilà les raisons pour lesquelles votre bonheur n’est point fait pour moi. Et puis, je t’ai gardé pour la fin la raison décisive : Thanatos me réclame ! Pour vous, l’aube de la vie commence à peine. Pour moi, le soleil s’est couché, et déjà le crépuscule m’environne. Autrement dit, carissime : il faut que je meure.
« Inutile d’insister là-dessus. C’est ainsi que cela devait finir. Tu connais Ahénobarbe et tu comprendras aisément. Tigellin m’a vaincu. Ou plutôt non ! Ce sont simplement mes victoires qui touchent à leur fin. Ayant vécu comme j’ai voulu, je mourrai comme il me plaira.
« Ne prenez point cela trop à cœur. Aucun dieu ne m’a promis l’immortalité, et ce qui m’arrive n’est point chose imprévue. Toi, Vinicius, tu es dans l’erreur en affirmant que seul votre dieu apprend à mourir avec calme. Non ! notre monde savait, avant vous, que, la dernière coupe vidée, il était temps de disparaître, de rentrer dans l’ombre, et notre monde sait encore le faire en beauté. Platon affirme que la vertu est une musique, et la vie du sage une harmonie. Et ainsi, j’aurai vécu et je mourrai vertueux."

Lettre de Pétrone à César, Chapitre LXXIV:

« Je sais, ô César, que tu m’attends avec impatience et que, dans la fidélité de ton cœur, tu te languis de moi jour et nuit. Je sais que tu me couvrirais de tes faveurs, que tu m’offrirais d’être préfet de tes prétoriens, et que tu ordonnerais à Tigellin de devenir ce que les dieux ont voulu le faire : gardien de mulets dans celles de tes terres dont tu héritas quand tu eus empoisonné Domitia. Mais, hélas ! il faudra m’excuser. Par le Hadès, c’est-à-dire par les mânes de ta mère, de ta femme, de ton frère et de Sénèque, je te jure qu’il m’est impossible de me rendre auprès de toi. La vie est un trésor, mon cher, et je me flatte d’avoir su extraire de ce trésor les plus précieux bijoux. Mais, dans la vie, il est des choses que je m’avoue incapable de supporter plus longtemps. Oh ! ne crois pas, je t’en prie, que je sois indigné de ce que tu as tué ta mère, ta femme, ton frère, brûlé Rome et expédié dans l’Érèbe tous les honnêtes gens de ton empire ! Non ! petit-fils de Chronos ! La mort est la destinée de l’homme, et l’on ne pouvait, d’ailleurs, attendre de toi d’autres actes. Mais, de longues années encore, me laisser écorcher les oreilles par ton chant, voir ton ventre domitien sur tes jambes grêles se trémousser en la danse pyrrhique, entendre tes déclamations, tes poèmes, pauvre poète des faubourgs, voilà ce qui est au-dessus de mes forces et m’a fait désirer la mort. Rome se bouche les oreilles, l’univers te couvre de risées. Et moi, je ne veux plus, je ne peux plus rougir pour toi. Le hurlement de Cerbère, même semblable à ton chant, mon ami, m’affligerait moins, car je n’ai jamais été l’ami de Cerbère, et n’ai point le devoir d’être honteux de sa voix. Porte-toi bien, mais laisse là le chant ; tue, mais ne fais plus de vers ; empoisonne, mais cesse de danser ; incendie des villes, mais abandonne la cithare. Tel est le dernier souhait et le très amical conseil que t’envoie l’Arbitre des élégances. »

Fin du Chapitre LXXIV:

"Lui, fit signe aux musiciens, et de nouveau tintèrent les cithares et résonnèrent les voix. On chanta l’Harmodios. Puis vint l’hymne d’Anacréon, où le poète se plaint d’avoir trouvé sous sa porte l’enfant transi et éploré d’Aphrodite. Après qu’il l’eut réchauffé, qu’il eut séché ses ailes, l’ingrat lui avait percé le cœur d’une de ses flèches. Et depuis lors, le calme avait fui son esprit…
Se soutenant mutuellement, divinement beaux, souriant et pâlissant, tous deux écoutaient.
L’hymne achevé, Pétrone fit offrir à nouveau les vins et les mets. Puis il se mit à deviser avec ses voisins de ces mille riens puérils et charmants, en usage dans les festins. Enfin, il appela le Grec et se fit attacher l’artère, disant qu’il se sentait pris de sommeil et voulait encore s’abandonner à Hypnos, avant que Thanatos l’endormît pour jamais.
Il s’assoupit. Quand il se réveilla, la tête d’Eunice reposait sur sa poitrine, telle une fleur blanche. Il la déposa sur le coussin pour la contempler encore. Et, de nouveau, il se fit ouvrir les veines.
Les chanteurs entonnèrent un autre hymne d’Anacréon, tandis que les cithares accompagnaient en sourdine, afin de ne point couvrir les paroles. Pétrone pâlissait de plus en plus. Quand se fut évanouie la dernière harmonie, il se tourna vers les invités :
– Amis, convenez que périt avec nous…
Il ne put finir. D’un geste suprême, son bras enlaça Eunice, et sa tête roula sur l’oreiller. Il était mort.
Mais les convives, devant ces deux formes blanches, semblables à deux statues idéales, sentirent que périssait l’unique apanage du monde romain : sa poésie et sa beauté."

lundi 27 mai 2013

Rosaelle: L'honneur perdu de la France

Rosaelle: L'honneur perdu de la France

Cette semaine, je suis tombée sur un billet de Crêpe Georgette, intitulée "La résilience ne se trouve pas rue des Morillons". Je ne suis pas sur mon ordinateur et je ne pourrai vous mettre le lien de suite.
Mais il me semble nécessaire de vous raconter ce qui s'est passé par la suite, en réaction à cette lecture.
Valérie parlait de la difficulté d'avoir un père déporté, au niveau de la mémoire de sa famille et de son identité, lorsque certains parlent de nier les évènements douloureux Français comme la Traite Négrière, par exemple car à terme, cela voulait dire renier aussi la Shoah.
Mais au-delà de la Shoah, son billet a ravivé une vieille cicatrice de mon passé.

Mes deux grands-pères étaient des insurgés, des insoumis, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, ayant refusé de rendre les armes à l'Armistice de 40.
Ils furent donc des traitres, des espions, voire des terroristes, échappant à la fusillade lors de leur capture, des mois plus tard, l'un par son patronyme d'origine germanique, l'autre par son type aryen, le style bon blond aux yeux bleus, dont il avait hérité par le hasard. Mon grand-père, qu'on appelait Pépé, avait les plus beaux yeux bleus que j'ai jamais vus, ainsi qu' un visage d'une régularité incroyable, dans sa jeunesse.
Des années après, son visage trahissait sa vie, mais avait gardé son caractère.  ...............extrait de mon blog Rosaelle

mercredi 6 mars 2013

Aragon, pour un 8 Mars

Une poésie d'amour fou, intemporelle, magnifique et qui semble encore si somptueux par son caractère intimiste et la volupté des mots, qui invite presque à transcender l'humain pour ce supplément d'âme qu'on cherche toujours à toucher, juste pour une femme, cette femme, la Femme: l'absolu féminin.
En hommage au 8 Mars:


Les Yeux d'Elsa

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa



































mardi 26 février 2013

Olympia, rouge de plaisir. | Pensez Bibi

 Un extrait de: Olympia, rouge de plaisir. | Pensez Bibi

Sur son blog,  Georges Didi-Huberman, historien de l’Art, pose un regard sur l’ de qu’on peut admirer au Musée d’Orsay. Il aura fallu attendre plus de trente ans pour que les cuisses olympiennes s’ouvrent, pour que ses yeux se ferment et que les peintres-hommes rougissent enfin son visage de plaisir.
Voici le remarquable morceau de bravoure de Didi-Huberman que je reprends in-extenso (en espérant que l’historien de l’Art ne m’en voudra pas…)
OLYMPIA, HORIZON D’ATTENTE
« Chacun garde en mémoire, chez Manet, la fameuse et la belle indifférence d’OlympiaSon corps désirable, nu mais fermé, étrangement blafard. Corps fermé, aussi, parce qu’il nous est montré de profil ou à peu près, avec cette main extraordinaire d’intensité – raccourci saisissant, contraste puissant, trait qui creuse la chair – posée sur le bas-ventre. Tout ce qui est peint frontalement appelle le mystère : le visage indéchiffrable d’Olympia, celui de la femme noire complice de cette indéchiffrabilité même et, bien sûr, le regard du chat. Il y a aussi les fleurs : ce bouquet, ce décor coloré de pétales, de calices, de pistils ou, pour tout dire, ce bouquet d’organes sexuels qui osent même se déverser, par contagion figurale, sur la soie beige où repose le beau corps......